Nous savons toutes et tous que la profession d’avocat est réglementée par la loi du 31 décembre 1971 et le décret du 27 novembre 1991, l’un et l’autre plusieurs fois modifiés, ainsi que par les règles, usages et pratiques du barreau.
Notre profession présente donc la particularité d’être source du droit avec comme limite le cadre légal.
Ainsi, rappelons que si le règlement intérieur peut ajouter une condition ou une restriction qui n’a pas retenu l’attention du législateur ; il ne peut en revanche ajouter une condition ou une restriction dont la loi n’a pas voulu.
Et c’est bien là que réside tout l’intérêt de la question.
En effet, nul besoin de rappeler que l’article 14.4 de notre RIN interdit toute rupture «A dater de la déclaration de grossesse et jusqu'à l'expiration de la période de suspension du contrat à l'occasion de l'accouchement » « sauf manquement grave aux règles professionnelles non lié à l'état de grossesse ».
Cette disposition réduit donc la période de protection pour la collaboratrice libérale au seul retour de congé maternité alors que les salariées jouissent, elles, d’une protection augmentée de 4 semaines suivant l’expiration du congé maternité. (article L1225-4 du Code du travail)
En effet, le législateur a souhaité protéger la jeune maman au-delà de son simple congé maternité pour lui offrir la possibilité, dans les premières semaines de sa reprise professionnelle, d’organiser avec davantage de souplesse ses nouvelles contraintes.
Il a même pensé à protéger la maman allaitante en lui permettant, pendant la première année de vie de l’enfant, de disposer d’une heure par jour pour le nourrir. (article L1225-30 du Code du travail)
En limitant la période de protection de la collaboratrice libérale, notre RIN a ajouté une restriction dont la loi n’a pas voulu.
Pour justifier cette différence de traitement, les avocats se contentent de brandir la condition libérale, laquelle serait dérogatoire aux dispositions du Code du travail.
Si les textes applicables à la collaboration libérale sont effectivement dérogatoires aux dispositions législatives, ils ne peuvent lui être contradictoires.
En effet, en faisant appel à vos vieilles réminiscences de vos cours sur les sources du droit, vous vous souviendrez que la loi prime sur les règlements.
Dans ces conditions, la période de protection de la femme enceinte ou jeune maman devrait être calquée sur celle accordée par la loi.
Cependant, ne nous arrêtons pas là et allons voir du côté du droit communautaire puisque, comme vous vous en souvenez, celui-ci prime sur toute règle interne de sens contraire (CJCE, 15 juillet 1964, Costa c/ ENEL) et doit être appliqué strictement par le juge interne.
Tout d'abord, il est intéressant de constater que l'article 9 de la directive n°92/85 accorde à la "travailleuse enceinte" (vous remarquerez l'utilisation du terme "travailleuse" et non salariée) "d'une dispense de travail, sans perte de rémunération, pour se rendre aux examens prénataux dans le cas où ces examens doivent avoir lieu pendant le temps de travail". D'aucuns affirmeront que cette disposition est sans effet sur les collaboratrices libérales dont l'essence même du statut est de disposer de son temps librement. Toutes les collaboratrices libérales savent au contraire que, en pratique, il est souvent très compliqué de se rendre aux examens prénataux.
Par ailleurs, l'article 10 de la directive n°92/85 prévoit une protection de la femme enceinte pendant la période allant du début de la grossesse jusqu'à la fin du congé maternité, ce qui est, jusque là, conforme à notre RIN.
Par extension, cet article interdit de prendre toute mesure préparatoire à une décision de licenciement en raison de la grossesse ou de la naissance de l'enfant pendant la période de protection, avant l'échéance de cette période.
La Cour de Justice justifie cette extension en se fondant sur l'objectif de cette directive, à savoir la protection de la santé physique et psychique des travailleuses enceintes et le risque d'incitation à l'interruption de la grossesse (CJCE, 11 octobre 2007, Paquay).
Cette interdiction de toute mesure préparatoire au licenciement pendant la période de protection est une position également adoptée par notre Haute Juridiction. (Cass. soc. 15 octobre 2010, n°08-43.299)
Toutefois, lorsqu'une "travailleuse" est licenciée pendant cette période, l'employeur doit donner des motifs justifiés de licenciement par écrit. La Cour a attribué un effet direct à cette proposition (CJCE, 4 octobre 2001, Maria-Luisa Jimenez Melgar). Ce que bon nombre de Cabinets se dispensent de faire...
La Cour de Justice a également jugé que "le licenciement d'un travailleur féminin qui intervient au cours de la grossesse pour cause d'absences dues à l'incapacité de travail découlant de la grossesse est lié à la survenance des risques inhérents à la grossesse et doit donc être regardé comme fondé essentiellement sur le fait de la grossesse" (CJCE, 30 juin 1998, Brown) Cette précision me semble importante au regard des témoignages apportés par certaines mamans avocates.
De plus, la Cour de Justice rappelle que la période de protection ne court pas seulement à compter de la déclaration formelle de la grossesse mais à partir de celle-ci et pousse son raisonnement.
Ainsi, elle sanctionne le licenciement d'une travailleuse qui se trouve à un stade avancé d'un traitement de fécondation in vitro, à savoir entre la ponction folliculaire et le transfert immédiat des ovules fécondés dans l'utérus de cette travailleuse, pour autant qu'il est démontré que ce licenciement est fondé essentiellement sur le fait que l'intéressée a subi un tel traitement. (CJCE, 26 février 2008, Mayr)
Enfin, et pour toutes celles qui ont subi une rupture de leur collaboration à leur retour de congé maternité, ou qui ont été mises au placard, l'article 15 de la directive 2006/54 fixe le droit d'une femme en congé maternité de retrouver son emploi ou un emploi équivalent à des conditions qui ne lui soient pas moins favorables.
Cependant l'Union Européenne n'entend pas limiter la protection de la femme aux dispositions actuelles et a adopté le 3 octobre 2008 une proposition de révision de la directive 92/85 pour, notamment, étendre le congé maternité à 18 semaines...
Cette proposition fait encore l'objet de débats au sein des Etats membres mais il convient de rester attentive à son évolution.
Dans ces conditions, en cas de notification de rupture contraire à l'une des dispositions ou jurisprudences communautaires, l'avocate ne doit pas hésiter à les invoquer.
Il me semblait important d'apporter ces quelques précisions car, à force consacrer tout notre temps au traitement des dossiers de nos clients, nous sommes généralement peu disponibles pour l'étude de notre propre situation.