Je vous invite à lire l'interview d'Anne-Cécile SARFATI, ancienne avocate devenue pas moins que rédactrice en chef adjointe du prestigieux ELLE, et qui a été la seule à pouvoir interviewer Anne Sinclair il y a quelques mois, en réponse aux questions de Christiane Féral-Schuhl.
Un bel exemple de reconversion réussie.
Anne-Cécile Sarfati a exercé la profession d’avocat de 1991 à 1994 au sein du cabinet Lafarge-Flécheux-Revuz. Elle y pratiquait le droit des contrats appliqué à la vie des affaires.
Elle a quitté le Barreau pour devenir journaliste. Après avoir collaboré en tant que pigiste au Point, au Nouvel Observateur et à l’Evènement du Jeudi, elle est devenue reporter, puis Grand reporter au magazine ELLE. Depuis deux ans, elle est Rédactrice en Chef Adjointe du célèbre magazine féminin dont elle dirige trois rubriques, situées à la fin du journal.
Elle a publié 4 ouvrages : deux sur la psychologie des enfants (Petits tracas et gros soucis de 1 à 7 ans et de 8 à 12 ans, Albin Michel, avec Christine Brunet), un livre de cuisine (« À préparer en 15 minutes maxi », Albin Michel) et un livre sur les femmes et le pouvoir (« Femmes au pouvoir, récits et confidences », Stock, avec Hervé Gattegno).
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1. Christiane Féral-Schuhl : pourquoi et comment prend-t-on, la décision de quitter la profession d’avocat vers votre activité ?
Anne-Cécile Sarfati :
Je suis devenue avocate par facilité (j’avais de bons résultats à la fac de droit) et conformisme familial (mon père et ma tante sont avocats). Mais aussi parce que j’avais été engagée chez Lafarge-Flécheux comme juriste salariée avant la fin de mes études de droit et que je me plaisais beaucoup dans ce cabinet. J’adorais mon patron, Guillaume Le Foyer de Costil, qui était humainement formidable. Il me confiait des dossiers très prestigieux, très intéressants intellectuellement, qui me donnaient confiance en moi.
Et puis, j’ai fait, dans ce cabinet, l’une des rencontres les plus importantes de ma vie : Delphine Brunet-Stoclet, qui démarrait, elle aussi, dans la profession. Je me souviendrai toujours du coup de foudre amical qui nous a frappé toutes les deux dans la belle bibliothèque de l’avenue de Lamballe, au-dessus des Dalloz. Delphine est toujours avocate, elle est comme une soeur pour moi : nous avons trois garçons chacune du même âge, nous partageons beaucoup d’amis et j’ai écrit deux livres avec sa mère qui est psychologue pour enfants. Je m’étends un peu pour vous faire comprendre que dans ce cabinet, j’étais dans un confort affectif idéal.
Mais au fond de moi-même, une petite voix me rappelait régulièrement que, pour ce qui concerne mon métier proprement dit, je me mentais un peu. Je sentais bien que cet univers était quand même un peu trop conformiste et austère pour moi. Avec mes dossiers d’arbitrage pour Colgate palmolive et EDF, je me desséchais un peu. Certes, j’étais flattée de travailler si jeune sur de si beaux dossiers, mais mon métier manquait de sens à mes yeux : j’avais le sentiment que mon rôle se bornait à faire gagner de l’argent à des sociétés qui en possédaient déjà beaucoup…
J’avais soif d’ouverture sur le monde et sur la société. Mais je ne me sentais pas non plus le talent d’une pénaliste. En réalité, je rêvais secrètement de journalisme depuis mes études de droit sans avoir eu l’énergie, à l’époque de bifurquer. C’est au retour de mon deuxième congé de maternité que j’ai sauté le pas : je me suis fait omettre du barreau et j’ai tout recommencé à 0, d’abord par des stages non rémunérés (j’avais mis de l’argent de côté), puis en courant la pige dans différentes rédactions (d’abord de minuscules articles, puis des enquêtes et des reportages de plus en plus grands). Je n’ai décroché un CDI à ELLE que six ans plus tard. J’y suis encore aujourd’hui et je m’en réjouis chaque jour.
2. Christiane Féral-Schuhl : quelles similitudes et différences majeures entre l’avocat et votre métier ?
Anne-Cécile Sarfati :
La rigueur et la capacité d’indignation sont deux traits communs à ces métiers. Enfin, l’indignation… pas tellement dans le métier d’avocat d’affaires, mais dans celui de pénaliste, certainement.
Le métier d’avocat est très technique alors que celui de journaliste permet de s’intéresser à la société dans son ensemble. Ce qui me plaît le plus dans ce métier est qu’il permet de rencontrer quantités de gens évoluant dans des univers très différents. C’est un métier extrêmement nourrissant.
Enfin, il reste une très grande différence : l’écriture. Rédiger des contrats ou des conclusions d’avocats n’a pas grand-chose à voir avec la rédaction d’une enquête ou d’un reportage. Alors que vous devez avoir un style concis et froid quand vous êtes avocat d’affaires, il vous faut accrocher votre lecteur en jouant sur l’émotionnel et l’infiniment petit quand vous êtes journaliste. C’est ce que j’ai trouvé de plus difficile dans ma reconversion.
3. Christiane Féral-Schuhl : quel regard portez-vous sur la profession, l’ayant vécu de l’intérieur puis l’observant de l’extérieur ?
Anne-Cécile Sarfati :
C’est une profession magnifique avec des gens de très grande qualité intellectuelle et humaine. Cependant, même si des progrès ont été réalisés par rapport à mon époque, c’est encore une profession très machiste ! Quand j’appartenais encore au barreau, une avocate au bord de l’accouchement dans un ascenseur était obligée de s’effacer devant un membre du conseil de l’ordre pour le laisser passer ! J’ose espérer que ça n’est plus le cas maintenant. Et puis il y a aussi la douloureuse question des congés de maternité : il y a à peine quinze ans, les femmes n’avaient droit qu’à six semaines en tout et pour tout.
Grâce à l’accession de Dominique de la Garanderie à la fonction de Bâtonnier, les choses ont évolué. Il était temps… Mais je trouve encore très difficile pour les jeunes femmes avocates d’articuler leur vie privée et leur vie professionnelle.
C’est vrai dans tous les métiers, mais dans celui-là peut-être encore plus que dans un autre. Je rencontre régulièrement des jeunes avocates brillantes qui veulent raccrocher leur robe parce qu’elles n’en peuvent plus de rentrer chez elles à 22h et de travailler tous les week-ends alors qu’elles projettent de fonder une famille. Je trouve ça dommage parce que je sens souvent chez elles une vraie vocation. Pour la profession, c’est une vraie perte de talents.
Travailler dans un magazine féminin a complètement changé ma façon d’appréhender cette question. À ELLE, si vous avez un enfant malade, on vous demande ce que vous faites au bureau ! Et pourtant, nous aussi nous travaillons comme des folles, nous aussi nous faisons carrière, nous aussi nous sommes soumises à des pressions.
Mais nous avons une culture du travail, à mon sens, beaucoup plus moderne. Une culture davantage tournée sur les résultats que sur la présence physique. Et ça marche ! Alors que la presse est en crise, alors que de nouveaux féminins sont régulièrement lancés par des groupes concurrents, notre beau magazine ne cesse de gagner des lectrices. Certains cabinets d’avocats feraient bien d’en prendre de la graine !
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