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16 février 2012 4 16 /02 /février /2012 21:35

Je vous reproduis ci-après l'interview de Me Dominique Attias publiée sur le site Women Tomorrow (link)

Interview de Me Dominique Attias : Il faut sortir les jeunes avocates de leur solitude !

C'est souvent en période d'élections que la parité hommes-femmes souffre au grand jour et nous ramène au constat que le parcours est encore long avant que les femmes soient réellement à l'égal des hommes dans le monde professionnel. 

Mais ils existent aussi des élections où les choses changent et progressent, et c'est ce qui a eu lieu récemment au sein de la profession d'avocats. Le 6 décembre 2011, les élections du Conseil National du Barreau ont été l'occasion de voir l'affirmation d'une liste indépendante arrivée en 3ème position et enregistrant une très nette progression depuis les dernières élections : la liste "Femmes et Droit."

Comme nous l'avions évoqué lors de précédents articles (Pourquoi les avocates veulent raccrocher leur robe et Moms à la Barre) la profession d'avocat, bien que très féminisée, n'en est pas moins très discriminante envers les femmes et notamment celles qui combinent leur vie de mère et leur vie professionnelle. 


Nous avons donc voulu en savoir davantage sur cette liste qui monte chez les avocats et Me Dominique Attias, grande avocate, Présidente de la commission ad hoc “droit des mineurs” et tête de liste de "Femmes et Droit", a répondu à nos questions et donné ses conseils à toutes les jeunes avocates afin qu'elles puissent surmonter le Gender gap de leur profession.

 WoTo : Pourquoi cette liste ?
Dominique Attias : "Femmes et Droit" est une liste de femmes engagées qui privilégient l'action à la revendication. Face au départ prématuré de femmes de la profession (NDLR: 1 femme sur 3 quitte le métier dans les 10 premières années d'exercice) et à la perte de valeurs qui en découle, nous souhaitons inverser la tendance.
Il est important de préciser que nous sommes une liste indépendante. Nous ne sommes pas syndiquées, y sont présentes des femmes de tout âge, de tout horizon, et nous travaillons dans des structures et des domaines très différents. 
Le but de notre action n'est en effet pas du tout de créer une séparation entre les femmes, bien au contraire. Nous voulons rassembler toutes les femmes car elles connaissent toutes les mêmes problématiques : un immense difficulté à briser le plafond de verre, et notamment, parce que tout est fait pour les décourager."


WoTo : Expliquez nous les raisons de ce découragement. Pourquoi tant d'avocates décident de rendre leur robe ?
Dominique Attias : En fait c'est extrêmement pernitieux car pour les décourager, on joue sur toute la culpabilité qu'une femme peut déjà porter en elle lorsqu'elle souhaite avoir en même temps une vie de famille et une vie professionnelle. Par exemple, l'organisation de réunions à des heures impossibles entraîne de très grandes difficultés pour celle qui doivent aussi gérer une vie familiale et elles subissent des sarcasmes ou des réflexions parce qu'elles ne peuvent pas être présentes. Et donc à un moment, ce n'est plus possible.
Il faut donc s'armer et aider nos jeunes consoeurs qui sont souvent en plus, lorsqu'elles sortent de l'université, meilleures que les hommes. Mais elles se trouvent ensuite ostracisées, à la fois par un comportement masculin et à la fois par un sentiment de solitude qui font qu'au bout d'un moment, elles s'orientent vers autre chose.


WoTo : Alors comment les aider ?
Dominique Attias : Le seul moyen de les aider à être à la fois sûres de leur bon droit, à tenir le coup et à ouvrir les portes qu'on leur verrouille, c'est d'être en nombre, d'être soudées, de pouvoir les épauler, de leur donner la possibilité de parler ensemble, de créer leur réseau et c'est aussi et surtout d'obliger les cabinets à changer leurs habitudes.


WoTo : Estce que votre liste a rencontré des obstacles ? Le monde des avocats comprend-il vos actions ?

Dominique Attias :Ce qui nous a finalement étonnées, c'est d'avoir été violemment attaquées aussi bien par des hommes que par des femmes. Ce sont généralement des femmes qui sont déjà arrivées à un certain niveau et on obtenu des postes importants, et qui ont l'impression que cette liste va les dévaloriser. Et pour les hommes, on n'a bien entendu pas échappé au sexisme à rebours. Mais en revanche, dès que l'on a pu s'expliquer, en général, la résistance est tombée du côté des hommes.
J'en profite pour préciser qu'il n'y a aboslument rien de sexiste dans notre démarche. Il s'agit de reconnaître la valeur de l'humain qu'il soit homme ou femme. 


WoTo : Finalement, estce que "Droit et Femme" ne serait pas le 1er puissant réseau d'avocates à voir le jour en France ?

Dominique Attias : Si absolument, et c'est de cela dont nous avons besoin aujourd'hui. Si l'on pense notamment aux lois sur la parité en France, par exemple dans les conseils d'administration qui devront d'ici 2017 avoir un minimum de 40% de femmes, il faut en face des réseaux féminins dans lesquels, y compris les chasseurs de tete devraient etre des femmes, afin de connaitre les vraies problématiques et de proposer aux décideurs des profils de femmes extremement compétentes auxquels certains dirigeants ne pensent quelquefois meme pas. 
Et c'est vraiment tout un changement de mentalité qu'il faut opérer, et il faut le faire dans la société toute entière, dès le plus jeune age des enfants. Et les femmes peuvent etre très solidaires entre elles. Nous l'avons bien vu lorsque nous avons créé la liste, nous étions toutes d'horizons très divers et une osmose s'est créée instantanément, car ce qui compte, c'est que nous soyons toutes des femmes d'engagement.
Aujourd'hui, nous souhaitons au-delà de la liste, mettre en place un réseau de niveau national, qui soit force de proposition au niveau du Conseil National du Barreau où se prennent les décisions. Et tout ceci sans clivages.


 WoTo : Mais finalement, est-ce que les jeunes avocates ou meme les étudiantes en droit sont préparées à tout ça ? 

Dominique Attias : Non, elles ne sont pas du tout préparées. Il existe une grande différence entre le discours politiquement correct d'égalité et la réalité. Donc il faut :
  • Mener des actions au niveau des écoles de formation et des différentes filières. Par exemple, encourager les jeunes femmes à aller dans des filières d'affaires où elles sont encore trop peu nombreuses. Ensuite, il faut mettre en place un système de tutorat et favoriser l'entraide car à partir du moment où on est compétent, il y a de la place pour tout le monde. 
  • Faire évoluer les contrats et notamment les contrats de collaboration (NDLR : cf article \\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\"Moms à la barre\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\")
  • Et toujours dans cette volonté de partage, il faut maximiser les opportunités que nous offrent les technologies web et créer notamment un intranet au niveau du Conseil National du Barreau, pour aider les jeunes femmes à s'installer ou à faire le lien entre les différents barreaux qui sont encore aujourd'hui assez cloisonnés.


Ce que je voudrais qu'on retienne c'est qu'il faut sortir les avocates de leur solitude.

La profession d'avocat est finalement une profession où les gens sont isolés car tout est dans le paraitre. On est censés etre battant, gagnant, et on ne peut donc pas avouer ses faiblesses. Alors que sans que ce soient des faiblesses, on peut avoir des interrogations, des doutes, et les mieux placées pour y répondre, ce sont les femmes qui ont vécu ces interrogations et qui peuvent donc aider à franchir les obstacles.
Et ce qui est également capital, c'est de leur montrer qu'on peut parfaitement mener une vie professionnelle épanouie et une vie de famille épanouie. Ce n'est pas l'un ou l'autre. 


WoTo : Alors quels conseils concrets donneriez-vous aux jeunes avocates ?

Dominique Attias : J'ai plusieurs conseils à leur donner.

1. Tablez sur les compétences et choisissez des domaines de compétence dans lesquels vous excellez. Mais réservez-vous aussi des domaines de passion, car au fil de la carrière, si l'on s'est limité à des domaines de raison, on peut finir par avoir des doutes.

2. N'hésitez pas, lorsque vous le souhaiterez, à changer d'orientation. N'ayez pas peur ! Tout comme il ne faut pas avoir peur de parler de ses interrogations et de ses faiblesses.

3. Continuez  à travailler coute que coute ! et c'est finalement un conseil pour toutes les jeunes femmes, et pas seulement pour les avocates. Les législations font qu'en France, en cas de divorce, les prestations compensatoires versées à l'ex-épouse sont dérisoires, contrairement aux USA par exemple. Donc lorsqu'une femme décide d'arreter de travailler "pour la bonne cause" et que les choses tournent mal dans le couple, il est ensuite extremement difficile de retourner dans le milieu professionnel.

4. Vous pouvez combiner une vie de famille heureuse et une vie de mère avec votre métier d'avocate ! Toutes mes co-listières ont des enfants, j'en ai personnellement 4, et nous n'avons jamais arreté de travailler. Nous n'avions pas de réseau pour nous aider, nous nous sommes débrouillées seules, et c'est la raison pour laquelle nous voulons que les choses changent pour la nouvelle génération. 

Donc sachez qu'il y a un réseau qui existe ! C'est très important à la fois pour trouver des appuis, et à la fois pour que les personnes "mal intentionnées" sachent qu'en cas de problème d'une jeune consoeur, nous sommes derrière elle et pretes à entrer en rapport de force.


Qu'on se le dise donc, "touche pas à ma consoeur" !

Merci beaucoup Dominique Attias pour le temps que vous avez consacré à cette interview et à votre très grande gentillesse. Nous serons ravies de vous recroiser sur le parcours de "Droit et Femmes" afin que vous nous teniez au courant des avancées obtenues pour toutes les femmes avocates.
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Published by Moms à la Barre